7 - Mina
Ma
grand-mère avait reçu un enseignement de sa propre mère avec cette continuité
de l'irréel. En tant que femme, capable de donner la vie, sa force créatrice
l'avait placée en une place inespérée de communication. Jusqu'à l'âge de 13
ans, elle avait accompli les rites transmis par ses aïeules, au creux dans la
toute petite fontaine du Vaucluse, seul univers d'humidité conservé en France.
Les hommes se battaient contre les vents, les femmes s'organisaient autour.
Un matin, semblable à tous les autres matins, Mina qui comptait les jours avant la grande initiation, partit dans les collines au milieu des herbes sèches. Elle était attirée par une lueur vers l'Ouest, à l'opposé du soleil levant. Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi la lune était encore si brillante. Dans la clairière derrière l'abbaye, alors que la nuit aurait du encore persister, des lueurs étonnantes envoyaient des signaux. Et dans sa tête, elle crut les recevoir, comme pour entendre leur sens profond. Elle compris qu'elle se trouvait face à des entités, des choses vivantes, elle ne pouvait se l'expliquer, mais c'était indéniable. Elle s'aplatit sur le sol poussiéreux, avalant tant et plus la poussière fine et ocrée de la région. Elle rampa jusqu'à un point culminant. Et bientôt, dans son esprit, elle entendit des paroles. Des bribes de conversation totalement surréaliste…
"Cela
fait trop longtemps que nous sommes là, la planète ne tiendra pas le coup. Soit
nous partons, soit nous nous accomplissons."
"Les
humains ne résisteront pas à notre accouplement, il y aura trop de pertes et
nous ne serons donc pas assurés du temps de la gestation."
"Comment
être sûrs que nous trouverons le guide puis le vecteur ? Tout ici est trop
aléatoire. Civilisation engoncée, très peu évoluée"
Mina
avait fermé les yeux et se laissait bercer, si tant est que l'on puisse le
faire avec de telles phrases.
Elle
se sentait aussi minuscule qu'un grain de poussière, abandonnée dans un coin de
l'univers, mais aussi, elle se savait "celle" qui pourrait entraver
les rouages et faire repartir les élans dans d'autres sens.
Bien
sûr, elle avait été initiée très jeune à recevoir les pensées des autres êtres
vivants, sans pour autant les voir ou les entendre. Souvent, lorsqu'elle se
promenait dans les bois, elle comprenait jusqu'au murmure de la jeune fougère
qui sommeille encore sous l'humus printanier… Elle soignait d'ailleurs beaucoup
plus qu'elle n'échangeait. Toujours à l'affût de celui ou celle en détresse.
Mais à cet instant, elle sentait en elle comme un grand haut parleur qu'elle
n'aurait pas masquer. Un sens dans les phrases qui étaient pour elle, sans
véritablement d'interrogation.
Elle
se hissa et regarda un peu mieux le balai de ces ombres épaisses, elle sentit
dans ses cheveux le vent qui rend fou, qui vous pénètre, vous transperce et
vous possède. Mais elle ne laissa pas la peur l'envahir, et du haut de sa
petite taille, elle s'éleva en criant du plus fort que le pouvaient ses poumons
:
-
Je vous entends et vous ne mangerez pas ma planète !
Dans
la clairière, tout se fit alors silencieux. Et en plein milieu de cette nuit,
il n'y avait pas grand chose à entendre. Pourtant, cette voix de presque-jeune
fille fut comme un poignard dans le noir ! L'épaisseur des ténèbres commença à
se muer, imperturbablement, vers le petit corps apeuré.
Mina
fermait encore plus ses yeux, pensant ainsi se protéger des forces engagées.
Mais la peur semblait partir peu à peu d'elle-même, comme une promesse qu'il ne
pourrait rien lui arriver. Comme des milliers de plumes, elle sentit sur elle
le regard des entités. Elle comprenait leurs interrogations. Elle laissait son
esprit ouvert aux vagabondages de tous ces autres. Elle ne voulait certainement
pas résister, trop consciente du salut qu'elle pouvait représenter pour ses
descendants.
Dans
une sorte de vision surréaliste, elle devina sur les nuages un visage d'une
jeune fille plus âgée qu'elle. Dans un temps futur, assez lointain. Les entités
s'emparèrent de cette vision et éclatèrent d'un rire de victoire… Une porte
immense s'ouvrait pour eux, la réalité de leur présence ici, la possibilité de
continuer à grandir et l'effarante évidence qu'ils ne détruiraient pas tout sur
leur passage. Ils enveloppèrent la toute jeune fille dans leur respiration
brûlante, lui sous-tirèrent jusqu'à son plus infime savoir et surtout, ils implantèrent
en elle les plans de leur devenir.